La crainte d’une attaque chimique s’accentue

Plaidant sa cause devant les membres du G7 réunis en marge d’un sommet de l’OTAN à Bruxelles, le président Volodymyr Zelensky a dit redouter une attaque chimique russe « à grande échelle » sur son territoire. Une crainte partagée par les Occidentaux, notamment par le président des États-Unis Joe Biden, qui a posé les conditions pour une intervention de l’OTAN. « Nous répondrons s’il y a utilisation d’armes chimiques. »

Attaque chimique

Une menace « bien réelle », selon Zelensky

La crainte d’une attaque ou d’un accident chimique, voire nucléaire, augmente en Ukraine. Non seulement son président s’en inquiète vivement, mais les Occidentaux jugent aussi la menace « très crédible », plus d’un mois après le début de l’invasion russe. Moscou, de son côté, affirme qu’il n’utilisera l’arme nucléaire en Ukraine qu’en cas de « menace existentielle » contre la Russie.

« Bien réel. » Ce sont les mots qu’a utilisés Volodymyr Zelensky pour décrire « le risque d’une utilisation à grande échelle d’armes chimiques par la Russie » sur son territoire, dans une vidéo diffusée jeudi devant les chefs d’État et de gouvernement du G7 réunis en marge d’un sommet de l’OTAN à Bruxelles.

M. Zelensky affirme que des bombes « au phosphore » ont été utilisées par les Russes, jeudi, à Roubijné, dans la région de Louhansk. Au moins cinq personnes sont mortes, dont deux enfants, et huit autres ont été blessées dans de nouvelles frappes. Dans le nord-est de l’Ukraine, au moins six civils ont aussi été tués et 15 autres blessés dans un autre bombardement à Kharkiv, deuxième ville du pays.

Dans la foulée, le président des États-Unis, Joe Biden, a promis une « réponse » de l’OTAN en cas d’utilisation d’armes chimiques, sans toutefois préciser ses intentions.

« Nous répondrons s’il y a utilisation [d’armes chimiques]. La nature de la réponse dépendra de la nature de cette utilisation. »

— Le président Joe Biden

Mercredi, M. Biden avait jugé qu’une attaque russe à l’arme chimique était « une menace crédible ».

Signe que la menace est réelle, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a annoncé l’envoi d’équipements de protection contre les menaces chimiques, biologiques et nucléaires à l’Ukraine. Une protection des forces ukrainiennes déployées sur le flanc est sera aussi assurée. « Il pourrait s’agir de détection, d’équipement, de protection et de soutien médical, ainsi que de formation à la décontamination et à la gestion des crises », a-t-il dit, précisant que les éléments de défense chimique, biologique, radiologique et nucléaire de l’Alliance avaient été « activés ».

« Nous pouvons nous attendre à tout de la part de la Russie, qui ne respecte aucune loi. Et nous devons être préparés à ce genre de situation », a insisté la première ministre de la Finlande, Sanna Marin. Le président du gouvernement slovène, Janez Janša, « ne pense pas que la Russie va utiliser ces armes à dessein », mais soutient que « les bombardements en Ukraine frappent des usines chimiques », ce qui peut « provoquer une catastrophe ».

Jusqu’où ira Poutine ?

Questionné à ce sujet mardi, sur les ondes de CNN International, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait indiqué que la Russie n’utiliserait l’arme nucléaire en Ukraine qu’en cas de « menace existentielle » contre le pays. « Une menace existentielle pour la Russie, ça veut dire une intervention directe de l’OTAN, ce qui est la position explicite de Poutine depuis la déclaration de guerre. Dès le départ, il a parlé de répercussions que nous n’aurions jamais vues de l’histoire si ça se produit », explique Guillaume Sauvé, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.

Pour l’expert en politique russe, user d’armes chimiques serait très risqué pour le régime de Vladimir Poutine.

« À première vue, ça me paraît contre l’intérêt du pays, parce que ça braquerait encore davantage les pays occidentaux. On peut aussi se demander si ça jouerait contre le soutien russe à la guerre. »

— Guillaume Sauvé, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal

Le hic, c’est que la Russie et son président « ont dépassé le stade de se préoccuper de l’opinion publique sur une guerre totale ». « L’État a déjà pris des mesures exceptionnelles pour verrouiller l’espace public. Les gens qui sont contre la guerre, soit ils partent, soit ils se taisent. Il ne semble donc pas y avoir de frein intérieur pour la Russie dans son action en Ukraine. C’est tout ça, l’enjeu », fait valoir M. Sauvé.

Selon Guy Marleau, spécialiste du génie nucléaire et professeur à la retraite de Polytechnique Montréal, « tout est possible » pour la Russie. « Or, une utilisation chimique de très grande ampleur, ça pourrait impliquer que les soldats russes soient eux aussi frappés. Utiliser ça en ville, c’est de la folie furieuse », raisonne-t-il. « Ce qui pourrait arriver, si ça arrive, c’est qu’on envoie des gaz dans des tunnels de métro, par exemple, ou des endroits très confinés, juste pour tuer des civils ou des personnes qui y sont cachées. Mais je ne pense pas que les Russes et leurs militaires veulent se retrouver là-dedans », ajoute M. Marleau.

Kadyrov dit avoir pris Marioupol

Le dirigeant de la république russe de Tchétchénie et fidèle du président russe Ramzan Kadyrov a par ailleurs affirmé jeudi que ses troupes avaient pris la mairie de Marioupol.

Or, dans une vidéo diffusée peu après, on aperçoit un groupe de soldats hissant un drapeau à l’effigie du dirigeant tchétchène, mais plutôt sur un bâtiment endommagé de la périphérie de cette grande ville du sud-est de l’Ukraine, que l’armée russe assiège. Si elle était prise, la ville de Marioupol deviendrait la première agglomération importante contrôlée par la Russie, après une offensive d’un mois qui a vu l’armée russe à la peine face à la résistance acharnée des Ukrainiens. L’information ne pouvait toutefois être confirmée de source indépendante, jeudi soir.

Dans les heures qui ont suivi, les Russes et les Ukrainiens ont procédé à un échange d’une dizaine d’occupants capturés, a rapporté la vice-première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk. L’Assemblée générale de l’ONU, de son côté, a adopté jeudi à une écrasante majorité de 140 voix un nouveau texte qui « exige » de la Russie un arrêt « immédiat » de la guerre en Ukraine. Il s’agissait d’une seconde résolution jugée « historique », mais qui reste non contraignante.

— Avec l’Agence France-Presse

402 000

Nombre de civils ukrainiens, dont 84 000 enfants, qui ont été emmenés contre leur gré vers la Russie, où certains pourraient être utilisés comme « otages » pour faire pression sur Kyiv, selon Lioudmila Denissova, médiatrice ukrainienne.

Source : Agence France-Presse

G20

« Le Canada doit demander l’expulsion de la Russie »

Les conservateurs et les bloquistes pressent Justin Trudeau d’agir

Ottawa — Le Canada doit imiter les États-Unis et réclamer l’expulsion de la Russie du G20, plaident les conservateurs et les bloquistes à Ottawa. Sans aller jusqu’à dire que le Canada emboîtera le pas aux États-Unis, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, jure qu’elle n’a aucune intention de s’asseoir à la même table que son homologue russe, Sergueï Lavrov.

Le président des États-Unis, Joe Biden, a annoncé jeudi, à Bruxelles, à l’issue du sommet de l’OTAN, que Moscou n’avait plus sa place au sein du G20. « Ma réponse est oui », a-t-il répliqué sans aucune hésitation à une journaliste qui venait de lui demander s’il souhaitait l’éjection de la Russie.

« L’enjeu a été soulevé aujourd’hui, et j’ai évoqué la possibilité que si cela ne pouvait se concrétiser, si l’Indonésie [le pays hôte du prochain sommet] et les autres ne parvenaient pas à s’entendre, nous devrions demander que l’Ukraine participe à la rencontre à titre d’observateur », a affirmé le dirigeant américain.

Le gouvernement Trudeau doit faire sienne cette position, juge le porte-parole du Parti conservateur en matière d’affaires étrangères, Michael Chong. « Le Canada doit demander l’expulsion de la Russie. Nous sommes heureux que nos alliés l’aient demandé. Maintenant, c’est au gouvernement du Canada de le faire », a-t-il argué.

Son collègue du Bloc québécois Stéphane Bergeron partage cet avis. « Je suis tout à fait d’accord. L’objectif est d’isoler le plus possible la Russie de toutes les organisations internationales », a-t-il affirmé en entrevue après la réunion d’un comité parlementaire où comparaissait la ministre Mélanie Joly.

Joly ne veut pas voir son homologue russe

Interceptée à sa sortie de la salle du parlement, la cheffe de la diplomatie canadienne a fait valoir qu’Ottawa comptait « certainement travailler avec le G7 sur cette question ».

Mais sa décision à elle est déjà prise.

« Ce n’est pas vrai que je vais me retrouver dans la même salle que Sergueï Lavrov au G20 », a-t-elle lancé. La ministre a rappelé que, il y a trois semaines, la majorité des diplomates du Conseil des droits de l’homme de l’ONU étaient sortis quand le Russe avait pris la parole et que sa position était donc à l’image de ce boycottage.

La Russie a été expulsée de ce qui était le G8 en 2014, une sanction qui lui a été infligée dans la foulée de l’annexion illégale de la Crimée. Le sommet qui devait se tenir à Sotchi avait fait l’objet d’un boycottage, et il avait été remplacé par un sommet du G7.

Le hic, en ce qui concerne le G20, c’est qu’il réunit des pays comme la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud.

Aux Nations unies, jeudi, les trois nations se sont abstenues au moment de se prononcer sur une résolution (finalement adoptée à la majorité) sommant le Kremlin de cesser les hostilités en Ukraine « immédiatement », « complètement » et « sans condition ».

« Déclaration politique »

Les possibilités que la Russie se fasse montrer la porte du G20 sont « très, très, minimes », tient à préciser Hélène Emorine, chercheuse principale des groupes de recherche sur le G7 et le G20 de l’Université de Toronto.

« Le G20 marche par unanimité. Tous les pays doivent être d’accord avant de faire une action importante comme celle-ci. »

— Hélène Emorine, chercheuse principale des groupes de recherche sur le G7 et le G20 de l’Université de Toronto

« La déclaration de Joe Biden est très politique et est difficile à mettre en œuvre de manière pratique. Je vois mal des pays comme la Chine ou l’Arabie saoudite être d’accord », expose-t-elle.

Malgré cela, la chercheuse ne serait pas étonnée de voir Justin Trudeau avancer lui aussi une telle position, car depuis le tout premier jour de l’invasion russe, il « emboîte le pas à Joe Biden presque à chaque étape ».

L’enjeu de l’éjection de la Russie n’a pas été soulevé pendant la conférence de presse de clôture du premier ministre au quartier général de l’OTAN, jeudi. Au bureau du premier ministre, on n’a pas souhaité fournir de commentaires.

Au Nouveau Parti démocratique, on n’en est pas encore à réclamer cette mesure. « Bien que ce soit une option que nous devrions envisager, il y a aussi beaucoup d’autres voies que nous devons emprunter pour être solidaires de l’Ukraine et condamner la Russie », a indiqué dans une déclaration écrite la députée Heather McPherson.

Plus de sanctions et plus de pétrole

À Bruxelles, tant le premier ministre du Canada que le président des États-Unis ont annoncé qu’ils frappaient le régime Poutine de nouvelles sanctions. Se retrouvent cette fois dans le viseur d’Ottawa 160 membres du Conseil de la Fédération – la Chambre haute – ayant « facilité et permis » l’invasion, a dit Justin Trudeau.

Cela porte le nombre total d’individus sanctionnés par Ottawa à 964.

Par ailleurs, afin de juguler les conséquences de la guerre en Ukraine, le gouvernement canadien accroîtra sa production de pétrole et de gaz d’environ 300 000 barils par jour – 200 000 barils de pétrole et 100 000 de gaz – en 2022.

« Nos amis et alliés en Europe ont besoin que le Canada et d’autres pays montent au créneau. Ils nous disent qu’ils ont besoin de notre aide pour s’affranchir du pétrole et du gaz de la Russie », a déclaré le ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, disant que cela « n’augmentera pas les émissions mondiales ».

Biden se rendra près de la frontière ukrainienne

Le président Joe Biden va se rendre ce vendredi dans la ville de Rzeszów, à environ 80 kilomètres de la frontière avec l’Ukraine, à l’occasion d’une visite en Pologne, seconde étape de son voyage en Europe, a annoncé jeudi la Maison-Blanche. Arrivant de Bruxelles, il sera reçu par le président polonais Andrzej Duda à l’aéroport de cette ville située à deux heures et demie de route de Lviv, principale ville de l’ouest de l’Ukraine. Il recevra ensuite un breffage sur « la réponse humanitaire afin d’apaiser la souffrance des civils en Ukraine et de répondre au flux croissant de réfugiés qui fuient la guerre que Vladimir Poutine a choisie », a précisé la Maison-Blanche dans son communiqué. Joe Biden ira ensuite à la rencontre de soldats américains postés dans cette région et « qui contribuent, aux côtés de notre allié polonais, aux efforts de dissuasion de l’OTAN sur son flanc est ».

— Agence France-Presse

Propagande du Kremlin

« L’érosion du consensus russe sur l’Ukraine s’en vient »

Ilya Yablokov, spécialiste des médias russes et professeur à l’Université de Sheffield, au Royaume-Uni, croit que la propagande de Moscou sur l’invasion ukrainienne est vouée à l’échec. La Presse lui a parlé.

Quelle est l’atmosphère actuellement chez les journalistes russes ?

Des douzaines de journalistes et de cadres ont quitté leur poste en Russie depuis un mois. Certains commencent même à divulguer les lignes de conduite qui leur ont été communiquées par leurs patrons depuis le début de la guerre.

Cela dit, la majorité des employées des médias russes restent en poste. Les gens doivent payer leur hypothèque, ils doivent rembourser des prêts… Avec la crise économique à l’horizon, trouver un autre emploi deviendra impossible. Je crois que les gens ont des questionnements moraux qui ne sont pas agréables à avoir, mais en fin de compte, la majorité va choisir de garder le cap et de ne rien changer à son lien d’emploi.

Le quotidien russe indépendant Novaïa Gazeta a récemment publié des pages vides pour montrer l’impact de la censure sur la dissémination de l’information sur l’invasion de l’Ukraine. Que pensez-vous de cette démarche ?

C’est très soviétique comme geste. C’est une tactique qui remonte au début des années 1990, lorsque les médias voulaient faire comprendre au public russe ce que les autorités conservatrices permettaient et ne permettaient pas d’écrire. Aujourd’hui, la différence, c’est que grâce à l’internet, aux réseaux sociaux, les lecteurs de Novaïa Gazeta savent très bien ce qui se passe en Ukraine. Publier des pages vides, c’est un peu comme enfoncer une porte déjà ouverte.

Ce qui est triste, c’est que le message n’arrive pas encore jusqu’aux oreilles des Russes qui soutiennent Poutine. Pour le moment, le message du Kremlin est beaucoup plus fort et beaucoup plus unifié.

Croyez-vous que cela va changer ?

Oui, à cause des sanctions. N’oublions pas que le public qui soutient Poutine ne ressent pas encore l’effet des sanctions économiques qui viennent d’être adoptées par les pays occidentaux. Pour eux, rien n’a changé encore, mais ce n’est qu’une question de temps. Je pense que l’érosion du consensus russe sur l’Ukraine s’en vient. Dans quelques mois, quand plus de soldats conscrits seront envoyés en Ukraine, quand plus de dommages économiques seront ressentis en Russie, quand plus de gens auront perdu leur travail, ce sera le début d’un questionnement de la politique du Kremlin.

Ne craignez-vous pas que le Kremlin n’utilise le prétexte des sanctions occidentales pour unir les Russes et fouetter leur fibre patriotique ?

C’est probablement ce que le régime va vouloir faire, et ça va fonctionner pour une partie de l’électorat, mais n’allez pas croire que ça va rallier la majorité. Le bloc d’appui pour Poutine va s’effriter. Les gens vont cesser de croire aux capacités de Poutine de diriger le pays. Ils ne vont pas le dire ouvertement, ils seront obligés d’être silencieux. Les gens craindront de faire quelque chose, à moins qu’il y ait un évènement déclencheur, une étincelle si vous voulez.

Poutine ne pourra pas faire disparaître les soldats russes morts et blessés qui seront rapatriés. Certaines estimations parlent déjà de 10 000 militaires russes morts. La capacité de l’État de cacher ce qui se passe vraiment en Ukraine est élevée, mais quand vous aurez des centaines de mères dans tout le pays qui se lèveront et feront part de leur chagrin et de leur colère… C’est un des évènements qui pourraient lancer des manifestations généralisées.

En Syrie, rappelons-nous que la guerre civile a commencé quand une poignée d’adolescents ont été enlevés et torturés par la police pour avoir fait des graffitis. Personne ne savait à cette époque que cela mènerait à un aussi grand conflit. Je pense que ce genre d’étincelle est possible en Russie.

un homme aurait lancé un cocktail Molotov sur le Kremlin

Une vidéo devenue virale diffusée mercredi sur un compte TikTok russe montre un homme en train de lancer un cocktail Molotov sur un des murs extérieurs du Kremlin, à Moscou. La vidéo, qui semble avoir été prise à la volée par un automobiliste, n’a pu être authentifiée. Plus de 15 000 personnes ont été détenues en Russie jusqu’ici pour avoir manifesté contre l’invasion de l’Ukraine.

La Presse en République tchèque

Rebâtir sa vie ou attendre le grand retour

La République tchèque a accueilli quelque 205 000 réfugiés depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, en grande majorité des femmes et des enfants. Si certains veulent s’installer, d’autres n’attendent que l’occasion de retourner en Ukraine.

Prague — Sofia Cheïko se rappelle très bien les combats qui ont eu lieu dans la rue voisine de leur appartement du nord de Kharkiv, dans l’un des premiers quartiers visés par les bombes russes. « Les chars ont commencé à tirer, les enfants pleuraient, les adultes priaient, c’était terrible. »

Quand les avions de chasse russes ont entrepris de survoler leur immeuble, la jeune femme de 18 ans, sa mère, sa grand-mère et son petit frère ont décidé de fuir. Deux jours plus tard, un obus détruisait leur appartement.

Selon Svitlana, 51 ans, et Vitali, son fils de 16 ans, la situation était plus calme dans leur quartier de Kyiv, mais ils sont quand même partis, de peur de voir la ville encerclée par les forces russes. Le mari de Svitlana est resté pour défendre la ville. Les larmes lui montent aux yeux quand elle raconte son départ.

« Tu laisses ta maison, tes amis, et tu pars. Tu as l’impression de dire adieu à tout cela. »

— Svitlana, réfugiée ukrainienne

Les Ukrainiens qui ont trouvé leur chemin jusqu’à Prague racontent un voyage éprouvant. Gares bondées, trains remplis à craquer, routes bloquées par des kilomètres de bouchons, files interminables aux postes-frontières. Et la peur, la peur constante des bombes.

Par l’entremise de connaissances communes, Sofia, Svitlana et Rita Naminat se sont retrouvées à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, où la sœur de Rita nolisait un autocar pour Prague. Mais pour elles, la destination n’était pas la chose la plus importante. « Nous avons fui Kharkiv dans une telle terreur que je n’ai pas réfléchi où aller, l’important était de s’éloigner des bombes », raconte Sofia.

En République tchèque depuis dix jours, ces trois femmes sont touchées par l’accueil qui leur a été fait. Rita parle d’un policier tchèque venu tendre 50 $ à sa mère âgée sur le perron de la gare, tandis que Svitlana est émue par tous les drapeaux ukrainiens dans les rues. Le gouvernement tchèque a projeté d’investir l’équivalent de 169 millions de dollars canadiens pour aider les réfugiés dans son pays. « Nous sentons le soutien et c’est agréable de voir que les gens nous comprennent », dit Svitlana. Elle pense que les Tchèques savent qu’ils pourraient être les prochaines victimes de Vladimir Poutine.

Poursuivre ses rêves

Malgré l’exil forcé et la destruction de son appartement, Sofia reste positive et poursuit son rêve, celui de devenir ballerine professionnelle. Grâce à des dons reçus à son arrivée, elle a pu racheter des chaussons de ballet, les siens étant restés derrière dans le chaos de la fuite. Le Théâtre national de Prague l’accueille pour répéter avec sa troupe.

Déjà avant la guerre, la jeune femme comptait partir pour tenter sa chance dans les théâtres d’Europe centrale, et les combats n’ont fait que devancer son départ. « Si on me proposait du travail au théâtre ici à Prague, j’y resterais sans hésiter », dit-elle.

Pour Rita, qui était vendeuse à Kharkiv, les occasions d’emploi sont rares à Prague, puisqu’elle ne parle ni tchèque ni anglais, mais elle veut s’activer.

« Il faut absolument que je trouve une occupation temporaire, ne serait-ce que pour éviter de sombrer dans la dépression. »

— Rita Naminat, réfugiée ukrainienne

Malgré la distance, elle ne peut arrêter de suivre les nouvelles d’Ukraine et de souffrir à la vue des évènements. « J’ai constamment envie de pleurer quand je vois ces ruines dans les rues de ma ville, raconte-t-elle, mais j’ai encore plus mal pour ces gens qui meurent, pour Marioupol, c’est atroce ce qui s’y passe. »

Si elles ne peuvent prédire la fin de la guerre, ces femmes gardent espoir en l’armée ukrainienne. « Il faut que l’Ukraine vainque, parce que tant de gens sont morts, tant de soldats se sont sacrifiés pour nous tous », dit Svitlana.

Rita continue de croire que Kharkiv résistera : « Ma maison me manque et je veux rentrer […], mais ce qui est clair, c’est que je ne vais pas revenir vivre sous occupation russe », lance-t-elle.

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